lundi 6 janvier 2014

Les Tragiques, Agrippa d'Aubigné, 1616



Je veux peindre la France une mère affligée,
Qui est entre ses bras de deux enfants chargée.
Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts
Des tétins nourriciers; puis, à force de coups
D'ongles, de poings, de pieds, il brise le partage
Dont nature donnait à son besson l'usage ;
Ce voleur acharné, cet Esaü malheureux,
Fait dégât du doux lait qui doit nourrir les deux,
Si que, pour arracher à son frère la vie,
Il méprise la sienne et n'en a plus d'envie.
Mais son Jacob, pressé d'avoir jeûné meshui,
Ayant dompté longtemps en son cœur son ennui,
À la fin se défend, et sa juste colère
Rend à l'autre un combat dont le champ et la mère.
Ni les soupirs ardents, les pitoyables cris,
Ni les pleurs réchauffés ne calment leurs esprits ;
Mais leur rage les guide et leur poison les trouble,
Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble.
Leur conflit se rallume et fait si furieux
Que d'un gauche malheur ils se crèvent les yeux.
Cette femme éplorée, en sa douleur plus forte,
Succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte ;
Elle voit les mutins tout déchirés, sanglants,
Qui, ainsi que du cœur, des mains se vont cherchant.
Quand, pressant à son sein d'une amour maternelle
Celui qui a le droit et la juste querelle,
Elle veut le sauver, l'autre qui n'est pas las
Viole en poursuivant l'asile de ses bras.
Adonc se perd le lait, le suc de sa poitrine ;
Puis, aux derniers abois de sa proche ruine,
Elle dit : « Vous avez, félons, ensanglanté
Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté ;
Or vivez de venin, sanglante géniture,
Je n'ai plus que du sang pour votre nourriture !



Ce poème est un extrait de l'ouvrage "Les Tragiques" d'Agrippa d'Aubigné, du Livre I , vers 97 à 130, publié en 1616.  L'auteur est né le 8 février 1552 sous le nom de Théodore  Agrippa d'Aubigné, il provient d'une famille aristocratique Huguenote et s'engage très vite au côté des protestants pendant la Guerre de 30 Ans, soldat sous le Roi de Navarre au début il délaisse après quelques années de combat l'armée pour combattre le catholicisme à la plume, fervent Calviniste il meurt le 9 mai 1630 a Genève.

L'illustration choisie est la célèbre peinture de Francois Dubois intitulée "Le Massacre de la Saint-Barthélemy", peinte entre 1572 et 1584 c'est une représentation du massacre des protestants pendant la nuit du 24 au 25 Aout 1572 qui fît 2500 morts dans la capitale seulement, on voit les protestants pendus, noyés dans la Seine et tués par les épées du Roi de France, le choix de l'illustration a été faite car elle présente ce massacre de la même manière horrible que le fait le poème, le massacre est aussi d'importance personnelle à l'auteur puisque c'est après le massacre il joint les rangs du Roi de Navarre.

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